À la une

Bellissima

PLUS D'ACTU

Les + Populaires

Profil

Bellissima

Les + Populaires dans profil

Mode

Bellissima

PLUS DE MODE

Les + Populaires dans mode

Beauté

Bellissima

PLUS DE BEAUTE

Event

Bellissima

PLUS D'EVENT

Société

Bellissima

PLUS DE SOCIETE

Les + Populaires dans société

Cuisine

Bellissima

PLUS DE CUISINE

Les + Populaires dans cuisine

Bellissima Fondation

Bellissima

PLUS SUR BELLISSIMA FONDATION

Le business du deuil à Kinshasa

Bellissima n° 48-2018 | publié le Mercredi 07 novembre 2018
Deuil
Deuil

Il y a quelques années, sous l’ère Mobutu-, pour honorer la mémoire de leur frère ou sœur disparu, les familles congolaises (zaïroises à l’époque) organisaient généralement les obsèques dans un cadre beaucoup plus restreint : soit dans la parcelle où le défunt payait le loyer, soit dans sa propriété privée ou celle de sa famille,  soit dans le lieu d’habitation d’un proche, d’un ami, d’une connaissance… Sur le lieu du deuil,  on sortait un lit sur lequel était exposé le corps inerte de celui qui a rejoint l’au-delà et on lui rendait les derniers hommages par des pleurs, cris, danses...Après l’enterrement, le boire et manger étaient servis dans un climat de recueillement. 

Mais actuellement, il s’est développé autour de la mort tout un business,« très rentable » selon certains dires, et ce de la morgue et au cimetière : location des salles funéraires, fabrication et vente des cercueils et couronnes de fleurs… voire service traiteur. Pourtant  « la prétendue rentabilité » du commerce funèbre  contraste avec le quotidien financier d'un plus grand nombre de Congolais, pour qui organiser des funérailles en mémoire de leurs proches  défunts devient un casse-tête en raison du volume  des dépenses à effectuer. Pour en avoir le cœur  net : « quelle est la situation actuelle du business du deuil à Kinshasa ? » Tour d’horizon.

Le business  du deuil, c’est un peu à l’image du football où tout le monde  peut jouer  au ballon mais tout le monde ne remplit pas les mêmes tâches sur  le terrain ni ne joue au même poste ou encore le même style de jeu, mais toute l’équipe se bat pour la victoire commune. Pareil pour le business du deuil : il y a ceux qui travaillent à la morgue, conduisent des corbillards, fabriquent et vendent des cercueils et couronnes de fleurs,  d’autres sont fossoyeurs, font louer des espaces mortuaires aux familles éprouvées… pourvu d’y gagner de l’argent. Et on ne peut pas parler du commerce de la mort sans tenir compte des scènes de marchandage qui ne peuvent logiquement pas manquer entre les familles éplorées et les « affairés » du domaine funéraire relativement aux biens et services à disponibiliser pour la réussite des funérailles. « Qu’il s’agisse d’un défunt adulte ou enfant, un cercueil  peut coûter entre 50 et 1500$ », renseigne Doudou Muasini, fabricant et vendeur des cercueils depuis plus de 20 ans et dont le quartier général des activitésse situe au croisement de l’avenue Tshela et de la direction Plateau dans la commune de Kinshasa. Cette continuelle variation du coût d’un cercueil est notamment due aux dépenses liées à sa fabrication et surtout à la valeur sociale que la famille endeuillée accorde aux obsèques du disparu.C’est-à-dire le montant versé pour l’achat d’un cercueil détermine aussi combien une famille tient à honorer  son défunt proche. Mais pour ces acheteurs qui n’ont pas assez de moyens financiers, la compassion peut également  jouer sa partition : « parfois, nous nous montrons aussi compréhensifs vis-à-vis d’une famille démunie. Nous pouvons accepter de lui céder à une petite somme d’argent notre cercueil tant apprécié pour sa consistance,  », précise Doudou.

Autre paire de manches quant à la valeur marchande de « ces caisses à mort », c’est du côté des cercueils importés, qui sont pour la plupart  mis en vente à Gombe, l’une des communes dites « huppées » de Kinshasa. Aux environs du terrain Mama Yemo, l’on peut compter quelques établissements commerciaux spécialisés dans la vente « des boîtes à mort ». Ces cercueils proviennent de divers pays : Allemagne, France, Belgique, Chine, Turquie… Il y en a de différentes matières. Si un modèle en bois peut se négocier à partir de 1.600$, celui fabriqué avec du zinc vaut 2.500$. A ces prix-là, il est vraiment difficile pour que certaines familles aux conditions modestes puissent s’en procurer quoique ce soit négociable. Puisque déjà avec 1.000 $, une famille modeste peut assurer les dépenses de tout le deuil et même pouvoir garder un peu d’argent après l’enterrement. Cependant pour une autre famille ayant beaucoup plus de moyens financiers, les dépenses pour l’organisation des funérailles font objet d’une budgétisation dont le contenu, pour le cas d’espèce,  peut servir de fonds de commerce pour ceux qui veulent par exemple se lancer dans les affaires. «Dans la vie, nous avons des riches, des gens de classe moyenne et des pauvres. Comme on ne gagne pas tous de l’argent de la même manière, notre échelle des dépenses par rapport  à nos désirs et besoins à satisfaire ne peut pas non plus être identique. Pour honorer comme il faut la mémoire d’un mort, une famille riche ne peut pas lésiner sur les moyens », philosophie un chargé de vente trouvé dans l’une de ces maisons commerciales des cercueils importés, à quelques mètres de l’Hôpital Général de Kinshasa. Les frais de taxe et d’impôt sur les cercueils importés  jugés « excédents », la quête du bénéfice sur lesdites marchandises, la rémunération des travailleurs  font aussi  partie de cette panoplie de raisons poussant les propriétaires des établissements de vente de ces produits à en fixer des prix aussi élevés. « Vendre des cercueils constitue tout un commerce, ce n’est pas du bénévolat », telle est l’idéologie qui règne dans ce secteur.

Dans le cérémonial du deuil, déposer une gerbe de fleurs devant le cercueil, la tombe d’un mort est un geste socialement significatif. Bien que paraissant comme un objet  à acheter aisément, la possession  des fleurs funéraires peut coûter quelques billets. Comme pour le cas du cercueil, la vente d’une couronne de fleurs dépend sensiblement du pouvoir d’achat de la population. « Nous vendons nos fleurs à partir de 10.000 FC (8 $) jusqu’à 80.000 FC (50 $), voire plus ! », lâche Jacob Pala qui a déjà passé plus de 20 ans dans cette activité. Il a pertinemment bien ciblé son marché afin de s’attirer une très grande clientèle : il vend ses fleurs juste en face de l’Hôpital Général de Kinshasa, l’ex-Mama Yemo. Mais il y a aussi de la concurrence car il n’est pas le seul à occuper ce lieu.

Si vous voulez organiser des funérailles à MBB chez Pierre Mbuyi (qui n’a pas voulu expliquer le sens de ce sigle), il vous faudra payer plus ou moins 500 $ de frais de location et tout passe par la négociation. Ce cadre situé dans la commune de Barumbu est d’une capacité d’accueil  d’environ 800 personnes (intérieur et extérieur compris) selon les dires du maître de lieu, qui s’est lancé dans ce business depuis 2015. Une fois la somme d’argent négociée est versée, vous aurez droit à l’utilisation de 300 chaises en plastique. Si l’assistance dépasse le nombre de chaises disponibles, vous serez obligés d’en louer : 250 FC par chaise ; comme pour dire que les  affaires sont les affaires ! Côté organisation des funérailles, le personnel de MBB met à la disposition des familles éprouvées  des baffles, un ordinateur et un Dj pour la musique, un panneau photo, deux tentes pour se protéger du soleil ou de la pluie, un groupe électrogène en cas de coupure d’électricité. Et si par malheur une coupure de courant survient, les frais de carburant pour alimenter le groupe électrogène reviennent à la charge de la famille louant cet espace.

Dans la ville de Kinshasa, les maisons communales font aussi louer des espaces dans leur enceinte respective où les familles viennent pleurer les leurs qui les ont quittées. Pour l’opinion publique, les bourgmestres s’enrichissent avec cette pratique, « préjugé ou réalité ?! » A la maison communale de Kinshasa (la capitale de la RDC porte le même nom que l’une de ses municipalités), l’un des cadres du département chargé de la location de l’espace funéraire pense que  ce système est un manque à gagner pour les entités municipales de la ville de Kinshasa car ces dernières le font plus pour aider les familles que pour  s’en enrichir. De temps en temps, les familles donnent 140 $ ou même la moitié de cette somme en vue de louer l’espace. Pour certains cas, la municipalité accorde à titre gracieux l’organisation des obsèques aux  familles manquant lamentablement des moyens financiers », dixit le même cadre. « Avec une moyenne de 5 deuils organisés par semaine, l’on croirait que la commune mère se fait beaucoup d’argent alors que cela est loin de la réalité. Même moi avant d’intégrer ce département, je pensais qu’on gagnait énormément d’argent par ici. Mais depuis que j’en fais partie, la réalité m’a montré le contraire », se défend encore la même source que nous avons interviewée, avant d’ajouter : « les funérailles organisées dans notre espace ont un impact minime sur le quotidien financier de notre municipalité dans la mesure où les dépenses à effectuer sont légion. Avec l’argent payé pour la location de l’espace, nous devons réserver une partie de cette somme  pour payer les éléments  de ce service qui s’occupe du nettoyage de l’espace à la fin de chaque deuil. Ce qui fait que pour bien fonctionner, nous ne devons pas seulement nous contenter de cette activité».  La location des espaces  dans les enceintes des maisons communales de Kinshasa pour  la tenue des obsèques reste un sujet qui divise toujours les avis des gens, notamment ceux qui pensent que ces entités privent aux enfants de leur terrain de foot afin d’amasser de l’argent  en autorisant aux familles éprouvées de tenir leur deuil dans ce lieu. Tandis que chez les concernées, qui sont les municipalités, c’est l’humanitaire qui prime !

Parlons aussi des cimetières : Benseke nouvelle cité, Mingadi 1 et 2, Nécropole Entre Ciel et Terre, tout ça vous dit quelque chose. Projecteur sur le dernier nom dont la renommée ne cesse d’augmenter ;  au point que même les petits enfants le connaissent : Nécropole ! Fruit d’un partenariat privé-public, malgré que projetée en 2008, la Nécropole est devenue opérationnelle en 2011. Situé dans la commune de Kinshasa, cet établissement mortuaire a révolutionné le quotidien des cimetières, notamment en ce qui concerne l’organisation et la propreté des tombes.

C’est une rupture avec les us et coutumes des cimetières  où riment  malpropreté et superstition. Raison pour laquelle un bon nombre de personnalités publiques, par-là des politiciens et musiciens,  y ont été enterrées ces sept dernières années. La Nécropole est structurée telle une municipalité. On y trouve en effet des rues avec des tombes numérotées, des quartiers  à l’instar de Columbarium, Artiste, Origa, Naos, Pagagus, Atlas, Constellation ou encore Mercuria. Des noms qui font penser à la culture gréco-romaine. Mais lorsque l’on vient à l’aspect financier, c’est bien là qu’on constate que la Nécropole n’est pas un cimetière  à la portée de toutes les couches sociales de la population. Selon le site de la Radio Okapi, le taux d’inhumation est fixé à 70 $. Un enterrement dans son enceinte (services funèbres compris) varierait entre 1.890 et 6.390 $. Chaque quartier des morts porte une valeur monétaire, l'une au confort bien différent de l'autre.  C'est en fait la logique des échelons. « Aujourd’hui,  les gens doivent se remémorer la mémoire de ceux qui nous ont été chers », déclaration d’Eric Mukuna, Administrateur de la Nécropole, interviewé par la radio onusienne installée en RDC, pour justifier que le caractère coûteux des services funèbres disponibles à l’ETEC est logique : «  il y a un prix à payer si l’on veut honorer les personnes disparues. »

Le business du deuil, un phénomène de notre époque qui est aussi grand qu’il ne le paraît. De part et d’autre, l’on constate que face à la dollarisation de l’économie congolaise, le commerce des funérailles ne fait pas l’exception. Avec un PIB de 644 $ par habitant en 2018 d’après la Banque Mondiale, statistique relayée par le Journal du Net, organiser des obsèques pour des familles congolaises est un casse-tête. On recourt à la cotisation, un système consistant pour les frères, sœurs, amis , voisins, amis et connaissances du défunt à contribuer avec une somme d'argent  bien fixée ou facultative afin d’organiser le deuil. Ou carrément : « l’on implore l’aide auprès de ces membres de la famille immigrés pour la plupart de cas en Europe. De fois avant la tenue des obsèques, on attend mordicus leur retour au pays.»  << On peut comprendre que pleurer un mort à Kinshasa est devenu plus qu’une nécessité du fait que l’on tient au prestige familial. Ainsi, j’invite les autorités congolaises à réguler  ce secteur où la multiplicité des prix  des biens et services à usage funèbre n’arrange pas la plupart de familles endeuillées >>, plaidoyer d’Alpha Minowala, la journaliste de la radio catholique Elikya.


                                                                                                                                                       F.A

Image
Deuil
Légende
Deuil